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Manuel de survie en territoire de dingues

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Voilà presque 30 ans que Neurosis forge un métal sans pareil. Avec « Fires within fires », le groupe américain signe un 11e album puissant.

Ils tournent peu, Scott Kelly, Steve Von Till, Jason Roeder, Noah Landis et Dave Edwardson. Mais leur son et leur façon de voir les choses ont influencé toute une génération ; ce ne sont pas les Flamands d’Amenra qui diront le contraire ! Au Pukkelpop en août dernier, nous avons croisé Steve Von Till, l’une des voix et des guitares de Neurosis. Enseignant dans le civil, et… particulièrement affable !

A leur manière, par les titres et les atmosphères qu’elles dégagent, les compos du groupe n’ont de cesse de renvoyer l’auditeur à l’état de notre monde. Découvrir « Fire is the end lesson », extrait de ce 11e album, alors que les images des destructions et des victimes du conflit en Syrie continuent de nous arriver est assez saisissant.

« Notre approche est plutôt intuitive, précise Steve Von Till. Je ne pense pas que nous diffusions de message. Notre musique est un mélange, un collage, et les voix n’y sont qu’un instrument de plus. Quand Scott et moi écrivons les textes, la plupart du temps, nous essayons d’entendre ce qu’elles nous disent, ces voix qui sont dans la musique. Nous essayons de les traduire. La plupart du temps, ça semble dénué de sens au premier abord. Bien sûr, nous utilisons des métaphores poétiques et des symboles, certains reviennent même fréquemment, mais de là à pointer un thème, un sujet précis, non… »

Frontstage - Neurosis - 2

Certains textes lui sont plus personnels, reconnaît-il. A l’écriture, ils évoquent quelque peu sa vie, mais jamais littéralement. « C’est poétique. » Et ça se mélange aux émotions dégagées par les instruments. « Pour moi, c’est toujours un peu la même chose : les tribulations de la vie, ce que nous voyons quand nous circulons, contempler ce que ça veut dire que d’être humain, sur la Terre… Notre but, ce que nous faisons aux autres, ce que nous faisons pour devenir meilleurs. Et tout ça dans ce monde dingue. Je ne sais pas s’il est plus dingue aujourd’hui, mais… quand ne l’a-t-il pas été ? »

Voilà longtemps maintenant que les Etats-Unis n’ont plus l’exclusivité de l’info en continu. « La différence est là, pointe-t-il. Mais bon, il y a de la folie aussi dans tous les livres d’histoire que j’ai pu lire. » Difficile dans ces conditions de travailler à l’abri de tout. « J’essaie de ne pas me laisser influencer par ce que les médias racontent. Mais à notre époque, depuis que nous avons ces super ordinateurs dans nos poches, c’est difficile de ne pas se prendre des infos dans la figure ! J’essaie de ne pas me faire manipuler. »

Il y a une dizaine d’années, Steve Von Till a quitté la ville pour aller s’installer dans un coin de forêt. Son comparse Scott Kelly a lui aussi un jour quitté le béton, avec femme et enfants… « Là-bas, j’essaie de vivre au présent. Bien sûr, je m’intéresse à ce qui se passe dans le monde, mais on peut vite se sentir débordé et impuissant si on se laisse noyer par les mauvaises nouvelles qui arrivent en permanence. Il faut remettre les choses en perspective. Voir aussi que nous sommes privilégiés de pouvoir vivre dans cet occident moderne, apprécier ce qu’il y a de bon là-dedans. »

Frontstage - Neurosis - 1

Neurosis ne tourne pas assez longtemps pendant l’année pour éprouver le mal du pays. C’est désormais au rythme de 25 à 30 concerts par an. « Ce groupe est un pacte, a dit un jour Scott Kelly dans une interview à Pitchfork. Une fois que c’est signé, il n’y a plus de choix. » Et ça fait 30 ans que ça marche de la sorte : quand ses membres se retrouvent pour travailler sur un nouvel album, c’est comme mus par une sorte d’appel instinctif et irrésistible. Ce même instinct qui donne naissance à de nouveaux morceaux.

« Ce n’est pas notre gagne-pain, reprend Steve, l’enseignant. Je gère aussi un label (ndlr : Neurot Recordings). A la fin des années 90, nous nous sommes rendu compte à quel point nos vies étaient déséquilibrées. Se retrouver le lundi matin dans un bled pourri à jouer un set pourri avec d’autres groupes dont tu n’as absolument rien à secouer, ça n’aide pas à être un bon père et un bon mari… » Né punk, Neurosis en a gardé l’éthique. « En formant ce groupe, notre but n’a jamais été de faire de l’argent, mais juste de nous exprimer. Tu te lèves, tu prends une guitare, et tu gueules ! » Passion et do it yourself, en quelque sorte. « Quand tu essaies de réconcilier la musique et l’art avec le commerce et la finance, la rencontre n’est jamais très positive, je pense. Pour nous, la musique est aussi quelque chose de spirituel. C’est notre manière de rester sains d’esprit dans un monde malade. »

Difficile de dire avec des mots ce que le groupe tente d’atteindre ou d’achever avec sa musique. Pour les cinq musiciens, pas vraiment de réponse, on est là dans l’abstrait, le très instinctif. « Nous sommes constamment à la recherche de quelque chose. En tout cas, nous voulons nous assurer de ne jamais stagner. Stagner, c’est la mort. Certains groupes ne font qu’un truc mais le font très bien. » Pensez AC/DC, Motörhead, les Ramones… « Et en plus, personne ne veut qu’ils fassent autre chose. Nous aussi nous ne faisons qu’une chose : évoluer. Nous métamorphoser, changer. Ce sera toujours du rock, dur, lourd, mais à l’intérieur, nous ne nous restreignons pas. Les seules restrictions que nous nous imposons, c’est d’être meilleurs, de toujours surpasser les efforts précédents, de regarder vers l’avant, d’être intenses, honnêtes, de susciter des émotions. »

Jusqu’à quel point Fires within fires est-il construit sur Honor found in decay, l’album précédent sorti en 2012 ? Impossible bien entendu de considérer chaque album hors de tout contexte. « Prenons le paradoxe temporel… Si vous remontez le temps et si vous y changez une toute petite chose, vous changez évidemment tout l’avenir. Chaque petite chose qui fait ce groupe, chaque petite chose de notre vie est donc extrêmement importante. Nous avons commencés quand nous étions des ados… Donc pour moi, Fires within fires, c’est le meilleur de ce que Neurosis peut être à ce moment-ci de son évolution. C’est ce que nous avons fait de meilleur. Jusqu’au prochain ! »

Ce « prochain », on ne sait pas trop quand il adviendra. Les uns n’habitent pas très près des autres, alors le groupe se reforme donc quand une tournée va démarrer ou qu’il y a des idées dont il est intéressant de discuter. Fires within fires est né très naturellement. « Avec le précédent, nous avons eu l’occasion de jouer dans des endroits assez neufs pour nous, ce qui a été assez excitant à ce stade de nitre carrière : l’Australie, la Croatie, le Mexique… Nous nous sommes dit : « Prenons un week-end en février, et au lieu de faire des concerts, jouons de la musique, voyons ce qui se passe. Deux ou trois d’entre nous se sont retrouvés un peu avant, nous avons lancé quelques idées sur lesquelles démarrer. » A la fin de ce fameux week-end tous ensemble, Steve et les autres tenaient le squelette de ce nouvel album. « Nous savions que nous allions ensuite pouvoir passer du temps ensemble en novembre. Nous avons donc booké un studio, en espérant pouvoir construire là-dessus. Ce qui est arrivé, si vite et si facilement que c’était presque comme un don. » Ou le fruit de 30 ans dans le parcours…

Didier Stiers
(Photo Steve Von Till : Mathieu Golinvaux)

 

 


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